Guillaume Apollinaire dans sa courte nouvelle
« L’infirme divinisé » écrit : « … hier n’est pas pour moi,
non plus que demain, et rien n’existe qu’aujourd’hui… » On peut même
dire : que maintenant !
L’Action
juste dans le Bouddhisme fait partie du Noble Sentier Octuple. Dans l’ordre : La compréhension juste,
la pensée juste, la parole juste, l’action
jute, les moyens d’existence justes, l’effort juste, l’attention juste, la
concentration juste. En quoi consiste l’action juste ? « Avoir la volonté d’éviter les actions
portant atteinte aux bonnes mœurs. » Vaste programme moral. Lorsqu’on suit
les « Enseignements du Bouddhisme » à la lettre, on peut se perdre.
Le Zen donne un sens très pragmatique à l’action juste. Il ne s’agit pas de s’emberlificoter
dans l’application d’un principe, aussi noble
soit-il, mais de vivre complètement l’action qui est en cours d’exécution.
Revenons un peu en arrière. Le Zen est né en
Chine au début du 6e siècle par un moine présumé indien, Bodhidharma[1],
à une époque où Confucianisme et Taoïsme existaient depuis mille ans déjà. Ce
qui fait que le Zen, courant du Bouddhisme qui a joué un rôle religieux et
historique très important en Chine, en Corée et au Japon se trouvait très
imprégné de Confucius et du Tao (tout
comme d’ailleurs le Bouddhisme à l’arrivée du Bouddha historique était
imprégné d’Hindouisme).
Si bien que dans le Zen
« l’Action juste » prend une autre tournure. Elle est en relation
étroite avec l’instant présent et l’action en cours. Je m’explique : Passé
et futur n’existent plus ou n’existent pas encore. Ou, s’ils existent, existent
dans notre tête par la pensée. C’est maintenant
que je pense à hier, à la semaine dernière, à l’an dernier. Il en va de même
pour le futur. Maintenant je pense à
ce qui se passera après, plus tard, bientôt. Si bien que le seul moment qui
existe vraiment c’est le moment présent. Mais il se trouve que vivre ce moment
présent est bien difficile. Il oblige, pour être vécu globalement, de le faire
dans la non-pensée. Exemple : Je suis en train de balayer, tâche très
noble contrairement à ce qu’on pense. Si tout en balayant je pense à ce que je
devrai faire demain, à ce que j’ai oublié de faire hier, du coup, je ne suis plus dans ce que je fais, au moment où je le
fais. Mon corps est d’un côté, ma tête de l’autre !
L’état de non-pensée se dit en sanscrit
« samādhi » et s’acquière par le zazen[2].
Il s’agit d’un état d’absorption et de concentration très difficile à
atteindre. Mais c’est de lui qu’émerge son soi profond. Personnellement il m’a
fallu de nombreuses années avant d’arriver à la cessation de la pensée.
Contrairement au Yoga qui enseigne de nombreuses
formes de respirations, dans le Zen (école Rinzaï) il n’en existe qu’une. Et si
en Yoga on « travaille » sur les sept chakras principaux, dans le Zen
on se fond dans un seul chakra, celui de l’ombilic, appelé « royal »
car il contrôle tous les autres. En japonais on l’appelle tanden, il est situé légèrement au-dessous de la zone ombilicale.
Lorsqu’en zazen, on s’absorbe sur le souffle, et
sur le souffle seulement, et qu’on ne laisse pas passer les pensées (car «
laisser passer les pensées » c’est encore une manière de penser) mais
qu’on se concentre sur son principe de vie même, la respiration, dès lors que
vivre c’est respirer, alors les pensées, bien que tenaces au plus haut point,
finissent pas s’atténuer, et de moins en
moins à s’imposer dans sa boîte crânienne… bref, à lâcher prise.
A quoi tout cela sert-il ? Et bien à être
appliqué et impliqué dans son activité quotidienne, dans sa vie de tous les
jours. Tout naturellement, sans avoir à y penser vraiment, le fruit des efforts
qu’on a fourni en zazen pendant quelques années se manifeste lorsqu’on exécute
une besogne, une tâche, un travail, bref, un exercice : Un état d’union
entre le corps, l’esprit et l’action présente. C’est le moment de fusion
de soi et de
l’univers. C’est aussi le moment où on rejoint les 4 phrases de Bodhidharma par
lesquels il défini les bases du Zen :
Une transmission spéciale en dehors
des textes
Ne dépendre ni des mots ni des
écritures
Montrer directement à chaque homme
son esprit originel
Voir dans sa vraie nature et
instantanément réaliser sa Nature-de-Bouddha
Ainsi l’action juste dans le Zen c’est ça :
En se fondant dans le présent on met en
miette passé et futur.
Bâton d’Eveil
Peint par Mumon Yamada :
« Si tu parles, trente coups
Si tu ne dis rien, [également]
trente coups »
Ne
reste alors « juste l’action » à exécuter
: )
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