lundi 28 mai 2012

Une journée pas comme les autres


Shiki Masaoka, né en 1867 et mort à 35 ans, fut un poète qui fit revivre la poésie haïku. Il pratiqua zazen toute sa vie. Il vivait très misérablement et était atteint de tuberculose. Après sa mort, on découvrit de nombreux poèmes, écrits en partant de sa propre expérience de vie. Il disait que le Zen était quelque chose qui vous permettait de mourir avec le sourire. Autrement dit le Zen, à travers les efforts faits durant zazen, permet de trouver le courage pour passer à travers les épreuves, dont l’ultime, la mort.

     Les jours qui me restent à vivre
     Encore combien ?
     Nuits si brèves

La souffrance ressentie pendant les longues séances de zazen sert à mieux supporter les petits bobos, petites gênes, petits inconvénients, petites tracasseries de toutes sortes rencontrés dans son quotidien. La souffrance a une grande vertu de purification. A travers les souffrances, les scories s'éliminent. Et à la fin la souffrance n'a d'utilité que dans la mesure où elle est la conséquence de la création d'une activité pratique.
Le but n’est pas de se faire souffrir, car dans ce cas on va tout droit à la perversité, mais quelle personne n’a pas, suite à des aspirations diverses, une excursion par exemple, ressenti des douleurs de toutes sortes au cours d’une ascension ? S’en est-on plaint ? Non. Car l’objectif est d’atteindre son but : Le sommet. Et voilà comment ça se passe :
Hier en catastrophe vous êtes vite allée vous acheter une nouvelle paire de chaussures pour la randonnée, car les anciennes étaient trop anciennes. Et ce matin, c’est le départ. Alors avec ce groupe bien sympathique, malgré la femme d’un ex que vous trouvez un peu chipie à cause d’un reliquat de jalousie de votre part, gaiement vous abordez les premières pentes du sentier. Gaiement le papotage s’est installé, mais au bout d’un moment, comme ça grimpe, vous vous sentez essoufflée, pas étonnant avec tout ce que vous fumez tous les jours, donc vous barjaquez moins (expression du sud-est peu usitée qui signifie parler à tort et à travers. En zazen c’est la même chose, on pense à tort et à travers) et vous continuez en écoutant plus et parlant moins, ce n’est pas dans vos habitudes.
Et plus ça monte, plus vous trouvez que votre sac est lourd, pas étonnant, c’est chaque fois la même chose, vous ne pouvez pas vous empêcher d’emporter plein de choses inutiles, en vous disant chaque fois que « ça peut servir » mais vous n’avez pas besoin de tout ça et chaque fois vous recommencez. (Les personnes qui viennent en sesshin, c’est la même chose. On dirait qu’ils sont là pour trois mois.) Vous vous en voulez de ne jamais apprendre ou de chaque fois oublier ce que vous avez appris ! Au bout d’une heure vous sentez une petite douleur derrière le talon, oh pas grand chose, mais vous pensez que ce n’est rien (en zazen c’est aussi comme ça, au bout d’un moment on commence à avoir mal mais on pense que ce n’est rien et que ça va passer) même si vous n’avez pas eu le temps de rôder vos chaussures avant. (On n’a pas le temps non plus de rôder sa posture de zazen.) Tout le monde sait ça, vous avec, mais vous n’avez pas pu vous en empêcher, on ne commence jamais une randonnée qui va durer une dizaine d’heures avec des souliers neufs.
Mais la douleur au talon augmente, et maintenant c’est aussi à l’autre pied. Ce n’est pas grave, à la prochaine pause vous enlèverez vos chaussures et mettrez un petit pansement. Mais voilà, la pause arrive et vous avez beau chercher dans les multiples poches de votre sac et le vider devant vous et devant tout le monde qui admire le fatras, vous constatez que vous avez oublié la petite trousse sur le bord du lavabo de la salle de bain. Alors vous allez embêter tout le monde pour savoir s’il n’y a pas dans le groupe quelqu’un d’assez gentil pour voir dans son sac si un pansement ne s’y trouverait pas et comme les gens sont assez gentils bien que certains pensent que vous êtes une emmerdeuse ils vous trouvent des pansements (en zazen quand on souffre c’est l’ego qui souffre et vous avez beau faire le tour de tout le monde pour savoir s’il n’existe pas un petit truc, un baume quelconque, une astuce secrète pour atténuer la douleur, mais rien de tout ça n’existe pas et que la seule aide qui existe c’est, et là je vous livre le truc, le baume, l’astuce, le secret : endurer).
Donc vous continuez à monter, ce sont toujours les mêmes qui sont devants et toujours les mêmes qui sont derrières : vous. Et vous trouvez votre sac de plus en plus lourd et vous avez de plus en plus mal aux épaules, aux jambes, et ne parlons pas des pieds (en zazen aussi on a mal au dos, aux genoux, aux chevilles). Ça fait des heures que ça monte et vous vous dites que vous auriez bien pu faire la grâââsse matinée plutôt que d’être avec ce groupe qui ne vous attend pas. Et vous vous demandez ce que vous faites là (en cours de sesshin aussi, souvent on se demande ce qu’on fait là). Vos pieds sont une catastrophe. Les ampoules qui s’étaient formées ont éclatés et le frottement de la chaussette sur l’ampoule a fait partir la peau si bien que la plaie frotte directement la chaussette… Mais bon, le sommet arrive enfin, vite mettre son coupe-vent, boire un coup, tout le monde a le sourire, se congratule, l’un dit « comme c’est beau ces montagnes » et entonne justement :
     Là-haut sur la montagne
     L’était un vieux chalet
puis s’arrête parce qu’il ne connaît pas les paroles. Un autre dit « c’est pas le tout ça mais il faut manger ». Et tous de cœur à cœur (ishin denshin) (…) s’écrient le plus platement du monde : « Il faut manger pour prendre des forces ! » Alors chacun sort son petit en-cas, son petit sandwich, son petit frichti, chacun contenant, preuve d’une imagination sans borne et d’une fantaisie illimitée, la tranche de jambon pure porc. Mais « mes chers compatriotes » (pour utiliser une expression très en vogue ces derniers temps) que deviendrait-on en France sans cette « tranche de jambon pure porc » ? Je me le demande.
Bon, le temps passe, après « avoir repris des forces » on est fatigué, et une petite sieste dans l’herbe ferait du bien, mais le chef a donné l’ordre de rentrer (la réalité de la vie n’est pas au sommet d’une montagne tout comme la réalité de la vie n’est pas en zazen mais vous avez voulu vous débarrasser des soucis de cette existence en faisant cette excursion et vous vous êtes créées de nouveaux bobos en vous égarant au milieu de ces montagnes (en zazen on ne se crée pas de nouveau bobos on découvre les anciens) alors on attaque la descente vers la vallée. Et allégrement vous qui aviez mal en montant vous êtes devant parce que à la descente les plaies ne se frottent plus sur l’arrière de la chaussure. Par contre il ne faut pas longtemps pour que vous sentiez vos orteils toucher cette fois le bout de vos chaussures neuves et qu’il ne faut pas longtemps pour sentir que de nouvelles ampoules se forment, mais clopin-clopant vous arrivez quand même en bas de la pente (comme cahin-caha on arrive en fin de sesshin des escarres aux fesses). On se congratule à nouveau, éreintés, mais content d’avoir découvert de beaux espaces, (rien toutefois à comparer avec les grands espaces vides qu’on découvre en méditation en tournant ses regards sur fond de néant).
Maintenant que vous avez compris que faire une excursion ou faire une sesshin c’est exactement la même chose, on a toujours mal quelque part et que si vous oubliez votre boîte à pansements ça n’a pas d’importance, sauf qu’en rando quand ça ne monte pas ça descend et qu’en zazen, ça monte et ça n’en fini jamais de monter en demeurant immobile, sans faire un mouvement, en se retrouvant toujours au même point. Et, chose étonnante, aussi haut qu’on monte jusqu’à son altitude on est toujours à la hauteur de la situation à laquelle on doit faire face dans la vie. C’est beau, non ?

Taïkan Jyoji

3 commentaires:

  1. Avec ardeur et souffrance,
    Avec plaisir et nonchalance,
    Le polissage de la tuile n’en fait pas un miroir.

    Vendre la tuile au comptoir du Grand Vide !

    Dans le reflet du nitrate d’Argent,
    L’ardeur et la souffrance,
    Le plaisir et la nonchalance,
    Le polisseur et le glandeur,

    Tout est Egal !

    Yokoshu.

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  2. "Sachez-le,bien que la tuile soit tuile et que le miroir soit miroir,la multitude des enseignements seront promulgués lorsque vous pénètrerez avec force le principe de ce polissage.(...).Si vous ignorez que tous les miroirs proviennent du polissage de la tuile,vous ne saurez prononcer la parole des éveillés et des patriarches,ni ne rencontrerez leur prédication,ni n'entendrez leur souffle".
    (Zazenshin,Shôbôgenzô,Tome 1,p.31.Trad.Yoko Orimo).
    Loin de l'empirisme doloriste:"tourner,transformer er renverser".(Jap."TEN").

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  3. "Le polissage de tuile ne consite pas à réaliser un miroir." Zazenshin p31.

    La contradiction sera levée quand tu résoudras ce Koan juste pour toi:

    "Aucun miroir ne peut apparaître sans polir une tuile mais il n'apparaît pas en la polissant"

    Le souffle et la parole ne sont pas la citation des textes: ils les éteignent.

    Sampaï.

    Yokoshu.

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© Taïkan Jyoji 2011