samedi 9 avril 2011

« Chaque jour est un bon jour »



Ce que j’ai à dire dépasse le simple cadre de la connaissance intellectuelle et de l’érudition encyclopédique, mais s’exprime à travers une expérience spirituelle vécue au cours de mes sept années passées au Monastère Zen de Shofuku-ji à Kobé (école Rinzaï) sous la férule de Maître Yamada Mumon, et des centaines de sesshins que j’anime depuis 1975 date de mon retour en France. J’utilise mon savoir intellectuel uniquement pour étayer ce qu’il me semble important d’exprimer. 


Le premier patriarche du Zen en Chine, Bodhidharma, mort autour de l’an 530, a posé les bases du Zen en quatre vers :
Ne dépendre ni des mots ni des écritures
Une transmission indépendante en dehors des doctrines écrites
Montrer directement à chaque homme son esprit originel
Voir dans sa vraie nature et instantanément réaliser sa Nature-de-Bouddha


Le moins respecté de ces quatre vers est le premier : « ne dépendre ni des mots ni des écritures ». Le Zen est peut être « la religion » qui a fait couler le plus d’encre tandis que d’autres religions ont fait couler le sang. Tous les ouvrages, tous les écrits, toutes les publications exprimés par les Maîtres du Zen ne visent qu’à un objectif, amener l’élève, le bonze, le lecteur, à réaliser sa vraie nature, autrement dit à avoir une expérience profonde de lui. Ou d’elle. Et là, la pensée est impuissante pour faire cette expérience de soi.


Pour y arriver, impossible de faire autrement que de laisser tomber sa pensée discursive. Il faut passer par un autre chemin, aller à la recherche d’une autre Voie, celle qui va petit à petit mettre fin à l’agitation mentale, à ralentir les pensées et permettre l’accès à son moi profond : Court-circuiter la pensée en posant ses fesses sur un coussin de méditation et faire zazen.


Tous les Maîtres du Zen n’ont pas laissé d’écrits. Certains, comme le Maître de l’école à laquelle je suis rattaché, Lin-tsi (jap. Rinzaï) n’a rien écrit de son vivant, du moins n’a-t-on aujourd’hui encore retrouvé aucun manuscrit. Seuls ses disciples prenaient des notes et transcrivaient que qu’il disait, que ce soit lors d’instructions collectives, d’exhortations, de faits et gestes.


Un autre maître chinois, Wumen (864-949) est lui devenu célèbre en posant des questions et en y répondant lui-même. Voici le kôan qui figure dans le Recueil de la Falaise Verte :   
- Concernant ce qui s’est passé avant le 15, je ne vous demande rien. Mais qu’en est-il de ce qui va se passer après le 15 ? Que quelqu’un parmi vous s’approche et me réponde. 
Comme personne ne s’avança il formula lui-même la réponse : 
- Chaque jour est un bon jour !  Puis s’en alla. 


Le maître s’est adressé à l’assemblée de bonzes pour donner un enseignement sur le présent, le passé et le futur. 
Quand il dit : 
« En ce qui concerne ce qui s’est passé avant le 15 je ne vous demande rien ! » 
C’est du passé, donc n’en parlons pas. 
« Mais qu’en est-il de ce qui vient après le 15 ? » 
Et bien on n’y est pas encore. Alors n’en parlons pas non plus ! Que reste-t-il alors ? Le présent. Mais que dire du présent, il change tout le temps. Donc n’en parlons pas non plus.
Hier il pleuvait, mais c’était aussi un bon jour. Demain pleuvra-t-il ? Fera-t-il beau ? On n’y est pas encore. Alors le bon jour c’est maintenant, le bon moment c’est sur le champ, au-delà du jugement et de la discrimination. Expérimenter par soi-même revient à comprendre et sentir son être autrement qu’avec les principes ancrés dans sa tête. Ne vous laissez pas aveugler par des illusions suscitées par les journaux et pire, la télévision (il y a des années que j’ai amené mon poste à la déchetterie)
La vie est à saisir dans son immédiateté. 

 



Calligraphe de Mumon Yamada
« Chaque jour est un bon jour »














© Taïkan Jyoji 2011